La démocratie suscite des jugements ambivalents. Le principe général fait à première vue l’objet d’un quasi-consensus, voire d’une idéalisation. Mais les démocraties réelles souffrent d’un désinvestissement (abstention massive et/ou montée de ce qu’on appelle couramment les « populismes », notamment sous la forme d’une dissolution de certaines démocraties dans des régimes autoritaires, voire autocratiques). Les critiques dont elles sont l’objet se révèlent donc partiellement contradictoires. On leur reproche souvent d’être insuffisamment démocratiques : le peuple ne serait que fictivement souverain ; malgré les révolutions démocratiques, le pouvoir réel resterait ou serait redevenu oligarchique, voire aristocratique. Mais on leur reproche aussi d’être faibles, bavardes, incapables de permettre de fermes décisions et de protéger véritablement les citoyens – donc, en un sens, d’être trop démocratiques. Est-ce la réalité (des gouvernants, des citoyens) qui trahit et corrompt le principe, ou le principe est-il en lui-même irréalisable ?
Pour comprendre la complexité du problème et en distinguer les différents aspects, on s’interrogera d’abord sur l’idée d’un « pouvoir du peuple ». Qu’est-ce qu’un peuple ? Comment distinguer le « peuple » (notion politique et juridique, voire morale) de la « population » (notion factuelle et descriptive) ? Comment une multitude d’individus peuvent-ils exercer conjointement le pouvoir ? Parmi d’autres auteurs, Hobbes au XVIIe siècle, Rousseau au XVIIIe siècle et Kelsen au XXe siècle aident à formuler avec clarté ces questions.
On verra ensuite que la critique de la démocratie, loin d’être propre à notre actualité politique, est aussi ancienne que l’apparition historique de ce régime. La première expérience démocratique, à Athènes au Ve siècle avant J.-C., donne lieu à une invention de la philosophie politique, avec Platon, qui, diagnostiquant un régime en crise, critique la démocratie dans son principe même.
Cette critique du principe peut être rapprochée d’autres qui ont été formulées au cours de l’histoire, jusqu’à l’époque contemporaine. Le premier régime républicain durable en France, la IIIe République, a connu de nombreuses crises et été le terreau d’une résurgence de théories anti-démocratiques, ou du moins antiparlementaires, qui se sont également développées dans des démocraties plus jeunes, notamment la République de Weimar.
Il faut donc comprendre pourquoi la philosophie politique a souvent été partiellement ou radicalement anti-démocratique, au nom d’idéologies très diverses, du décisionnisme et du conservatisme à certains courants du socialisme. L’examen et l’évaluation de ces critiques supposera de prendre en compte le rôle de la pluralité et de la délibération dans la vie politique.
Si, comme l’écrit Aristote, l’homme est un « animal politique », il n’institue pas la société comme le font les animaux grégaires. Vivre politiquement, c’est vivre sous le régime de la controverse, d’une interrogation et d’un débat infinis sur les moyens et les fins du pouvoir. Cette thèse se traduit chez des auteurs contemporains (Aron, Lefort, Habermas) par l’idée que la crise et la critique, loin d’être des états anormaux ou pathologiques de la vie politique, en manifestent la vitalité.
Une dernière perspective conduira à examiner les limites de cette conception relativement optimiste, en s’interrogeant sur les limites d’une conception principalement procédurale de la démocratie, comme pacification institutionnelle de la concurrence des hommes et des idées.
La démocratie peut-elle se passer d’un souci du bien commun ? En d’autres termes, une démocratie vivante et non dysfonctionnelle est-elle compatible avec les mœurs des Modernes ? Pouvons-nous encore être des « citoyens », au sens fort de ce terme ? Cette question, à laquelle Constant donne une réponse plutôt sceptique, fait l’objet d’une réflexion approfondie, avant lui chez Rousseau, et après lui chez Tocqueville et Arendt.
Le travail se fera au moyen de la lecture d’auteurs classiques, modernes et contemporains et supposera un aller-retour régulier entre l’illustration concrète (historique, actuelle) et le raisonnement. Il impliquera donc, outre la lecture d’extraits d’œuvres et – dans la mesure du possible – d’œuvres complètes, une connaissance soutenue de l’actualité, donc une lecture régulière de la presse.
- Teacher: Blaise Bachofen